Prisonnier de Kadhafi - Des Réflexions quand j’étais Prisonnier de Guerre pendant la Guerre Civile Libyenne

(cet article est disponible en anglais ici)

 

révolutionnaire et prisonnier de guerre, Matthew VanDyke dans sa cellule de la prison de Maktab al-Nasser à Tripoli, Libye

Révolutionnaire et prisonnier de guerre, Matthew VanDyke dans sa cellule de la prison de Maktab al-Nasser à Tripoli, Libye

Il y a un an aujourd’hui le 13 mars 2011, j’étais capturé par des forces de Kadhafi pendant une mission de reconnaissance à Brega, Libye. J’étais frappé à la tête et quand je me suis réveillé dans une cellule de prison j’entendais un homme qu’on torturait dans une pièce au dessus de ma cellule.

J’étais torturé psychologiquement. J’étais en isolement cellulaire pendant 165 jours dans deux des prisons les plus notoires de Libye, Maktab al-Nasser et Abu Salim.

Pendant cinq mois et demi, je restais les yeux fixant le mur en silence et cela m’a laissé beaucoup de temps pour réfléchir. Voici quelques réflexions qui me passaient par l’esprit.

Ma vie est terminée.  J’ai gâché ma vie.

Je ne reverrai jamais plus ma mère. Je suis un enfant unique et elle n’a pas d’autre famille. J’étais égoïste – j’ai laissé ma mère toute seule. Elle ne pourra jamais  avancer dans la vie car elle passera le restant de sa vie à essayer de me faire libérer. Si jamais ils me relâchent, j’aurai 50 ou 60 ans et moi, quand je vais commencer ma vie, d’autres vont  prendre leurs retraites. Espérons que j’aurai au moins quelques années à vivre avec ma mère.

Je ne reverrai jamais mon amie Six ans d’un vrai amour que la plupart des gens connaissent seulement à travers des livres et le cinéma. Si j’ai de la chance de la revoir, ce sera dans 30 ans. Je rencontrerai son mari et ses enfants, et je voudrais qu’ils soient mes enfants, et je penserai à ce que cela aurait pu être.

Le régime de Kadhafi pense que je suis un espion. Ils vont me torturer. Ils m’arracheront les ongles l’ une après l’autre jusqu’à ce que je confesse.

Ensuite, ils m’exécuteront. Peut-être en publique. Peut-être Kadhafi lui-même présidera l’exécution lorsqu’ils me pendront par le cou sur la Place Verte. Cela ne serait pas le pire. Au moins une exécution publique limiterait la souffrance à quelques moments avant que tout devient noir. Une exécution sécrète pourrait être lente et douloureuse. Ou des gardiens en colère pourraient entrer dans ma cellule, et ils empileront des pneus autour de moi jusqu’au cou, et ils m’arroseront de pétrole et ils allumeront le feu.

Peut-être ce sera mieux si je suis mort afin que ma mère et mon amie puissent faire le deuil.

Peut-être je devrais me tuer.

Je ne connais rien dehors des confins de ma cellule. Et il est possible que je ne connaîtrais que cette cellule pour le restant de ma vie.

A-t-on tort de se battre pour la liberté ? Est-ce que cela vaut la peine de se battre, tuer et mourir pour la liberté ? Est-ce que j’ai commis un péché et est-ce que Dieu me punit pour ce péché ? Ou est-ce que Dieu m’a empêché de commettre un péché en ôtant ma vie mortelle pour sauver mon âme immortelle?

Est-ce que la liberté des autres valait ce sacrifice, de passer le restant de ma vie en isolement à fixer des murs gris du regard en me demandant comment ma vie aurait pu être si je n’avais pas pris l’avion pour la Libye.

Voici juste une fraction des pensées qui me passaient par la tête pendant cinq mois et demi. 165 jours. Presque 4 000 heures. Assis dans une misérable prison libyenne à regarder devant moi les zébrures sur les murs comptabilisant les jours de détention des prisonniers avant moi et observant avec horreur que mes propres rayures sont devenues le double et puis le triple du nombre des leurs.

Mon histoire est unique seulement parce que je suis un révolutionnaire américain, un prisonnier de guerre américain du Printemps Arabe. Lorsque vous lisez ceci, sachez qu’il y a des milliers d’autres dans des prisons qui sont tenaillés par les mêmes pensées, les mêmes questions, les mêmes doutes. Certains d’entre eux sont en prison depuis des années, d’autres étaient emprisonnés parce qu’ils manifestaient dans la rue ou se battaient pour la liberté sur les champs de bataille dans des pays comme la Syrie. Beaucoup d’autres souffrent dans des cachots simplement pour quelque chose qu’ils ont écrit ou une remarque désinvolte entendue par un informateur du régime.

J’ai eu de la chance. Le 24 août, 2011, des prisonniers ont réussi à s’échapper et ils sont venus à ma cellule où ils ont cassé la serrure, ouvert la porte et ils m’ont amené avec eux. Nous avons fui craignant pour nos vies. Il est temps qu’on fasse la même chose pour des centaines et des milliers de prisonniers politiques et pour des révolutionnaires dans le monde qui ont sacrifié leur propre liberté personnelle dans la poursuite de la liberté pour tous.

D’après George Orwell :

Soit nous vivons tous dans un monde décent ou personne n’y vit.