Mali, Soudan et le Conflit Ethnique en Afrique du Nord

(cet article est disponible en anglais ici)

 

ethnic groups in africa

 

L’Afrique, malgré sa beauté et son histoire riche, a toujours été un continent rude et complexe. Il y a des centaines de groupes ethniques et des hostilités entre certains qui datent depuis des milliers d’années. De plus, ils vivent dans des conditions d’une grande pauvreté dans une co-existence forcée dictée par des frontières nationales imposées à l’époque coloniale.

Un exemple de tension raciale et ethnique est le conflit entre les Arabes (et les Touaregs qui sont Berbères)  et les Africains (noirs) sous sahariens. Depuis plus de 1 000 ans, les Arabes ont réduit en esclavage les Africains noirs. On estime que le nombre de victimes du commerce arabe de l’esclavage pourrait aller jusqu’à 18 millions. Il y a eu une baisse importante dans ce commerce dans les années 1960 mais néanmoins il a fallu  attendre 2007 pour que l’esclavage devienne un crime en Mauritanie. Même aujourd’hui des dizaines de milliers d’Africains restent réduit à l’esclavage en forme de servitude ou d’autres formes d’esclavage dans la région (on estime que 8% des Nigériens et 10 à 20% des Mauritaniens sont des esclaves.) Au-delà de ces rapports prédateurs entre les deux, l’interaction entre les Arabes/Touaregs et des Africains noirs est quand même quelque peu limitée par la vaste étendue du désert du Sahara qui agit comme une zone tampon naturelle entre eux.

A partir des années 1800, la situation a commencé à changer avec la colonisation de l’Afrique par les puissances européennes et la répartition du continent en ce qui est devenu (presque de partout) les frontières nationales modernes. Les Arabes, les Touaregs et les Africains noirs étaient mis tous ensemble dans une bande de territoire français et britannique qui traversait la vaste étendue du sud du Sahara pour devenir les états actuels de la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan.

how europeans created the borders of africa

 

Pendant cette dernière décennie, quatre de ces pays – le Mali, le Niger, le Soudan et le Tchad - ont subi des rebellions ou des guerres civiles et où on se battait essentiellement sur des divisions ethniques ou raciales. Cela ne veut pas dire que l’ethnicité ou la race est à l’origine du problème de ces conflits et que le conflit racial était inévitable, mais le rôle joué par l’ethnicité et la race ne peut être rejeté non plus. L’animosité ethnique et raciale qui existe est vraiment réelle et apparente à tout le monde qui a passé du temps dans cette région. Ces guerres se sont produites pour une multitude de raisons habituelles – la politique, les ressources, la religion, l’histoire – mais il était souvent assez évident que la question de race et d’ethnicité étaient des facteurs déterminants quand les locaux choisissaient de quel côté ils allaient se battre.

Pendant la dernière rébellion en Mali des Touaregs en 2012, ils revendiquaient leur droit au désert au nord de la rivière Niger pour créer l’état indépendant d’Azawad. De cette façon, ils séparaient les Touaregs dans le nord des Africains noirs dans le sud du Mali. La rébellion précédente des Touaregs (2007 à 2009) a eu lieu aussi bien en Mali qu’en Niger. Parmi les demandes des Touaregs de Niger étaient la décentralisation et aussi que le militaire nigérien soit dominé par des Touaregs plutôt que par les Africains noirs.
Il y a eu deux guerres civiles au Soudan entre le nord dominé par des Arabes et le sud dominé par des Africains noirs. La plus récente de 1983 à 2005 a abouti à l’autonomie, et plus tard, l’indépendance du Soudan du Sud en 2011. La guerre civile soudanaise s’est étendue au Tchad de 2005 à 2010 presque comme une guerre par procuration entre le Soudan et le Soudan du Sud en utilisant les mêmes milices ethniques que la guerre civile soudanaise.

Le Mali, le Niger, le Soudan et le Tchad n’auraient jamais dû exister tels qu’on les connaît aujourd’hui et leurs frontières auraient dû être redessinées depuis longtemps. Malheureusement, il n’y aurait peut-être jamais une véritable réconciliation entre Arabes/Touaregs et Africains noirs quand on considère l’histoire de l’esclavage, le racisme, la discrimination et la compétition pour des ressources. De plus, le taux d’alphabétisation dans ces pays est parmi les plus bas dans le monde (un obstacle important pour des programmes conçus pour promouvoir l’harmonie raciale). Les Africains noirs ont été constamment victimes de discrimination par leurs voisins Touaregs et Arabes en Afrique du Nord depuis plus de mille ans et, par conséquent, la haine et la crainte restent profondément enracinées. Des différences religieuses (en général musulman contre chrétien et animiste) et culturelles aggravent la situation encore plus.

Après moins d’un an depuis leur séparation, le Soudan et le Soudan du Sud sont au bord d’une guerre où ils disputent les démarcations de la frontière et des revenues du pétrole. Les deux côtes utilisent des forces rebelles par procuration et le Soudan a conduit des frappes aériennes contre des cibles dans le Soudan du Sud. Si l’histoire est une indication, la violence va lentement mais sûrement s’étendre jusqu’au Tchad lorsque les groupes rebelles font des raids de l’autre côté de la frontière. Il est fort probable que l’Ouganda intervienne militairement à côté du Soudan du Sud si nécessaire. Ceci aggravera le conflit qui commencera alors à ressembler à une inquiétante guerre régionale de race.
En Mali, la rébellion des Touaregs est loin d’être terminée. Au moment où  les Touaregs fêtaient la déclaration de leur nouvel état indépendant d’Azawad, des forces contre-révolutionnaires se réunissaient en milices et, tout en haut de leur agenda, était la vengeance. Une de mes sources m’a confié de bonne part que certaines milices se demandaient si le fait de tuer les combattants Touareg serait suffisant ou si ils devraient aussi exécuter les femmes et les enfants Touaregs pour empêcher encore une rébellion touareg à l’avenir. Par la suite, ce ne sera pas l’armée malienne et les Touaregs qui se battront mais des milices disparates qui vont accumuler une liste d’abus des droits de l’homme qui éclipseront ceux commis pendant la Guerre Civile libyenne.

Ce qui va venir va choquer le monde !

La seule façon d’empêcher une telle situation effrayante en Mali et au Soudan du Sud est une intervention diplomatique agressive par la communauté internationale pour les obliger à trouver un accord et de cesser des hostilités. De telles négociations doivent aboutir à une séparation légitime qui permettrait une autodétermination des deux côtés. En Mali, un accord impliquerait soit l’indépendance d’Azawad soit l’autonomie fédérale légitime. Le conflit aujourd’hui entre le Soudan et le Soudan du Sud est de toute évidence simple car il tourne autour du pétrole et il peut être négocié ; cependant la seule solution, à long terme pour le Soudan du Sud, est de construire un autre pipeline pour qu’il  ne soit plus tributaire du Soudan. La dépendance mutuelle conçue pour empêcher un conflit – le Soudan du Sud a le pétrole alors que le Soudan a le pipeline pour le transporter – ne peut que provoquer un futur conflit. Quand la Chine choisira finalement de soutenir un côté ou l’autre (elle fournit des armes au Soudan et, en même temps, importe du pétrole du Soudan du Sud)  et accepte de construire un pipeline au Soudan du Sud qui permettrait d’exporter du pétrole via le Kenya, une paix permanente deviendra possible. Pour le moment, la réconciliation entre le nord, qui est arabe, et le sud, qui est africain noir, n’est pas possible après deux guerres civiles qui ont laissé plus de 2 millions de morts.

Malheureusement, il est beaucoup plus probable que les guerres en Mali et au Soudan s’intensifient. Le Président al-Bashir du Soudan a juré de combattre les « insectes » du Soudan du Sud qui « ne comprennent rien sauf le langage du fusil et des munitions » et le Président Traore de Mali qui menace « une guerre totale et implacable » contre les Touaregs. Cependant, comme ces guerres risquent d’être si dévastatrices pour tous ceux impliqués, il existe peut-être un aspect positif car il faudrait éventuellement trouver un accord dans le conflit Arabe/Touareg et Africain noir. Quand les deux côtés deviennent si désespérés qu’ils veulent vraiment empêcher les guerres de se reproduire, il faudrait qu’ils se séparent et mènent leur conflit purement sur les fronts diplomatiques et politiques, c’est-à-dire à une distance. C’est la seule solution qui se conforme pleinement au principe de l’auto détermination et la seule qui sera permanente quand on considère la quantité de sang versé pendant toutes ces années.

Il reste la question du Niger et du Tchad, coincés au milieu de ces deux guerres et qui ont leurs propres histoires de conflit ethnique et racial, pour savoir s’ils échapperont indemnes des tumultes. Si l’histoire est une indication, ils n’échapperont pas.