Pourquoi J’ai Combattu dans la Guerre Civile Libyenne

(cet article est disponible en anglais ici)

 

freedom fighter matthew vandyke in his kadbb military jeep with dshk machine gun in the libyan civil war

Matthew VanDyke : Révolutionnaire pendant la Guerre Civile Libyenne

Si je meurs, veux tu expliquer à tes amis qui j’étais ?  Le 25 février 2011 quand mon ami Muiz m’a demandé de faire cela, la révolution contre Kadhafi avait commencé depuis une semaine. On est dans les rues à nous battre …. à nous battre avec nos mains…. mais nous n’avons pas de fusils ….les gens meurent pour la Libye. Son beau-frère avait déjà été tué et Muiz était décidé à mourir aussi. Il faut que tu le saches, les libyens n’ont plus peur de mourir. J’adore la Libye et je ne veux pas que quelque chose arrive à la Libye. Je suis prêt à mourir pour elle.

Je n’ai jamais imaginé une telle conversation avec un ami sur le net. La dernière fois que j’avais vu Muiz à Tripoli, il était heureux, souriant et insouciant, un ingénieur en informatique qui aimait la moto comme moi avec toute une vie devant lui. Maintenant, sa ville était assiégée par ce fou de Kadhafi, l’un des pires dictateurs de notre temps, et de plus, le monde de Muiz s’écroulait autour de lui.

Muiz faisait partie d’un groupe d’une douzaine de motards libyens qui étaient devenus mes amis lorsque j’étais à Tripoli en 2008. Hitem était leur leader, un motard jovial avec un cœur d’or et toujours souriant. C’était un mécanicien accompli et sa vie tournait autour de la moto.

J’ai demandé à Muiz s’il avait parlé avec Hitam. Il m’a répondu qu’il avait essayé de l’appeler mais il n’a pas eu de réponses.

C’est Tarik qui m’avait présenté aux motards et c’est lui qui m’avait fait entrer dans le pays à un moment où on ne livrait pas de visas de tourisme aux américains. Il avait soudoyé un responsable pour m’obtenir une visa d’homme d’affaires qui indiquait que je travaillais pour une compagnie dont je n’avais jamais entendu parler, et pour un soi-disant   « tour » d’une semaine dans le pays. Tarik m’a permis de rester dans son bureau plutôt que d’aller à l’hôtel.

J’étais en Libye depuis six semaines quand Tarik était convoqué pour être questionné par le régime. Là, un responsable lui a dit qu’il fallait que je quitte le pays dans les 48 heures. Nous avons couvert les 1000 kilomètres entre Tripoli et Tobruk en un jour pour être certain que je quitte le pays à temps. Nous avons réussi etTarik n’a pas eu de problèmes avec le régime.

Mais maintenant il avait des problèmes comme tout le monde en Libye. Mon cousin qui est avocat a reçu une balle dans la jambe hier lorsqu’il protestait. Et Abdou, celui qui est chauve qui est toujours avec nous, son cousin était touché par une balle d’ une mitrailleuse  antiaérienne là où habite Hitem. Il était en deux morceaux quand on l’a enterré. J’étais dehors et j’ai vu des snipers tuer trois autres juste devant moi.

Tarik avait pris sa décision. Je vais voir si je peux acheter un AK-47 demain matin d’un gars dans l’armée. C’est un devoir. Ce qui doit être fait sera fait.

Les paroles de mon ami me hantaient. Je regardais les informations et je voyais le début de la révolution se déroulait devant mes yeux. La communauté internationale ne réagissait pas. Elle semblait peu enclin à une intervention militaire. Kadhafi avait des armes, des munitions, des chars, presque toute l’armée et l’aviation. Les rebelles avaient quelques pick-ups sur lesquels ils avaient installé des mitrailleuses et des kalachnikovs C’était une situation épouvantable.

Muiz me demandait pourquoi personne ne venait à leur secours.

C’était tout ce qu’il fallait. Je lui ai dit que je viendrais. J’ai appelé ma mère pour lui dire que je partais en Libye pour aider mes amis. Elle comprenait parfaitement et elle me soutenait. Ensuite, j’ai appelé mon amie au travail pour lui demander de rentrer à la maison aussitôt que possible car je partais pour la Libye ce soir-là. Naturellement elle comprenait moins et ne me soutenait pas autant que ma mère.

Je n’allais pas rester assis à regarder pendant que Kadhafi tuait

mes amis et leurs familles. Tarik avait raison, c’était un devoir, et ce qui devait être fait serait fait. J’allais soutenir mes amis, me battre à leurs côtés pour la victoire et la liberté, ou mourir avec eux en essayant de les aider.

J’avais passé des années dans la région où je vivais et travaillait, à faire un documentaire sur mes aventures de motard dans 8 pays arabes. J’avais vu et parfois subi personnellement la vie sous des régimes autoritaires. Le Printemps Arabe était un mouvement purement révolutionnaire, qui faisait défaut depuis longtemps – un mouvement noble, juste et nécessaire. Il y aurait une seule opportunité de déposer des régimes car chaque régime tirerait des renseignements  des erreurs des autres. Chaque régime arrêterait les fauteurs de troubles et déploierait l’appareil de sécurité si profondément dans la société qu’il y aurait par la suite des enfants qui dénonceraient leurs propres parents lorsque tout était terminé. Il n’y avait qu’une seule chance de réussir, tout ou rien, avant que le régime se redresse.

Ma croyance idéologique dans la liberté et la démocratie, formée par des années dans la région, en plus de mes amitiés profondes que j’avais en Libye, me poussait à prendre des armes en tant que  révolutionnaire. Je ne serais pas allé en Libye si ce n’était pas pour mes amis. Je ne serais pas allé si c’était une guerre purement sur des bases ethniques, religieuses ou sectaires. Je n’aurais pas de rôle dans un tel combat, même pas pour aider mes amis. Mais quand mes amis se battaient pour la liberté, je ne pouvais pas les abandonner.

Alors, je suis parti. J’avais prévu d’aller à Benghazi, me joindre à la révolution dans n’importe quelle capacité (comme un combattant ou volontaire civile, au cas ou on refuserait de me laisser participer comme un combattant), voir mes amis à Tripoli quand la guerre était terminée et rentrer chez moi. Quand je suis arrivé à Benghazi, j’ai appelé mon ami libyen Nouri Fonas que j’avais rencontré en Mauritanie en 2007. Nouri, qui était un hippie quand je l’avais vu pour la dernière fois en 2008, était devenu un combattant. Quand je l’ai vu maintenant dans son uniforme militaire et son gilet de protection, un homme qui avait voyagé de partout dans le monde pendant dix ans au nom de "peace and love" et qui parlait maintenant du « temps de la guerre », je savais que, en effet, oui c’était le temps de la guerre et que je pouvais m’engager dans le combat dans les rangs des rebelles libyennes.

A partir de ce premier jour, je travaillais pour la révolution. J’aidais à réparer les pick-ups qu’on utiliserait, à déplacer des armes et des munitions et établir des plans pour la guerre. J’ai contacté des américains avec une expérience militaire que je connaissais pour demander des conseils sur des armes. Nous avons travaillé inlassablement pour préparer notre départ vers les lignes du front. En même temps, les forces de Kadhafi avalaient ville après ville en route vers Benghazi.

Le 12 mars, je suis parti pour Brega en mission de reconnaissance avec trois autres pendant que Nouri continuait son travail à la base militaire à Benghazi. Le 13 mars, nous étions pris dans une embuscade. Assommé pendant l’embuscade, je n’ai aucun souvenir de ce que s’est passé. J’étais réveillé dans une cellule de prison par des cris d’un homme qu’on torturait dans la salle au dessus.

On m’a gardé en isolement solitaire pendant 165 jours où j’ai subi une torture psychologique sévère. Pendant plus de quatre mois et demi, le régime de Kadhafi niait qu’ils me détenaient. Pour le monde j’étais mort. Finalement, ils ont admis que j’étais détenu mais ils refusaient de dire où j’étais. J’étais dans la prison la plus notoire de Libye, Abu Salim.

Le 24 août, les prisonniers qui s’étaient échappés ont cassé la serrure de ma cellule et nous nous sommes enfuis craignant pour nos vies. J’ai attendu à Tripoli pour que Nouri arrive de Benghazi. J’ai cherché des nouvelles de mes amis pour qui j’étais venu me battre. Muiz, Hitem Tarik et d’autres avaient tous survécu. Nouri et moi sommes repartis en guerre.

Certaines personnes aux Etats-Unis se demandaient pourquoi j’avais décidé de retourner au front. Je venais de passer cinq mois et demi où j’avais subi une torture psychologique dans l’isolement solitaire dans une des pires prisons du monde et ils pensaient que je devrais rentrer aux Etats-Unis. Mon amie aussi.

Ma mère ne cherchait pas à me forcer à rentrer Elle savait exactement ce que je ferais après la prison. C’était elle qui m’avait appris à honorer mes engagements. Je m’étais engagé envers la révolution quand je suis parti pour la Libye, un engagement envers mes amis et aux hommes avec qui j’avais été capturé. Je ne quitterais pas la Libye tant qu’elle ne soit pas libre et je tenais à honorer cet engagement. Ma mère savait aussi que je n’abandonnerais jamais les hommes qui étaient capturés en même temps que moi.

Rien n’avait changé tout simplement parce que j’avais traversé une  expérience pénible en prison. J’étais encore en vie, encore en mesure physiquement de servir et j’avais une obligation de retourner accomplir mon devoir. D’une façon, je leur devais au moins cela parce que je n’avais pas pu participer lorsque j’étais en prison.

Cependant, les raisons pour lesquelles j’étais venu me battre avaient changé. Mes amis à Tripoli étaient sains et saufs. Mais en aucun cas j’allais quitter la Libye alors que les 3 hommes qui avaient été capturés en même temps que moi, Ali, Mohammed et Sharif étaient peut-être encore en vie dans une prison quelque part en Libye. De plus, en tant que prisonnier de guerre, je ne quitterais pas le pays tant qu’il y aurait encore des prisonniers de guerre dans les prisons libyennes. Quand toutes les villes de Libye seraient libérées, alors je rentrerais chez moi.

Nouri et moi sommes repartis ensemble sur les lignes du front. Nous avons rejoint la Brigade de l’Ali Hassan al-Jaber de l’Armée Nationale de la Libération de Libye. J’ai reçu une carte d’identité militaire libyenne et on nous a affecté un jeep sur lequel nous avons installé une mitrailleuse lourde Dushka. Nouri était le conducteur et moi, j’étais le mitrailleur. Nous avons eu 40 engagements avec l’ennemi, pour la plupart dans la Bataille de Sirte, et nous avons échappé à la mort plusieurs fois. Nous avons servi honorablement et nous avons aidé à vaincre les forces de Kadhafi à Sirte. Le 20 octobre Kadhafi a essayé de quitter Sirte, où il était capturé et exécuté.

La guerre terminée, Kadhafi mort, et tous les prisonniers de guerre libérés, j’ai dit au revoir à mes amis à Tripoli et Benghazi, pris un avion et je suis rentré chez moi. Les hommes qui étaient capturés avec moi à Brega n’ont jamais été retrouvés D’après les informations que nous avions eu on pense ils avaient été exécutés par le régime avec beaucoup d’autres prisonniers peu de temps avant la chute de Tripoli.

Je ne regrette pas d’avoir combattu dans la Guerre Civile Libyenne. Je le referai sans hésitation, et si jamais la Libye est confrontée à nouveau à une menace d’autoritarisme, je serai là pour aider à renverser un tel régime aussi.

Mes expériences dans cette guerre et en prison m’ont changé pour toujours. De servir avec des hommes courageux et honorables sur le champs de bataille, de souffrir seul en isolement, d’entendre retentir les cris de ceux torturés par le régime à travers les murs de la prison, et de voir les visages des gens lorsqu’ils fêtaient la liberté pour la première fois – tout ceci m’a radicalement transformé. Je me définis aujourd’hui comme quelqu’un qui a une opposition inébranlable à l’autoritarisme et je ferai tout ce qui est dans mon possible d’effacer cette tâche des pages de l’histoire humaine.

Une vague de démocratisation traverse le monde. Les régimes autoritaires tomberont comme les dominos et je ferai tout ce que je pourrai pour aider à renverser ces dominos y compris à participer de nouveau comme un combattant armé. Ceci a commencé avec le Printemps Arabe mais il se terminera avec les Printemps Iranien, Africain et Asiatique.

Le 21e siècle est le siècle de la liberté.