Après Alep

 

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Une force de 20 000 soldats syriens a encerclé Alep et se préparent pour la reprendre des rebelles de l’Armée Syrienne Libre (ASL). L’armée d‘Assad a réduit la résistance avec des barrages d’artillerie, des bombardements aériens et du mitraillage avec des hélicoptères de combat depuis des semaines.

Les hommes de l’ASL qui ont proposé de participer à cette mission sont héroïques et sans doute parmi les meilleurs et les plus courageux qui servent dans cette révolution. Beaucoup d’entre eux sont allés à Alep en sachant qu’ils ne retourneraient probablement pas. D’autres croyaient qu’ils pourraient en effet gagner et tenir la ville assez longtemps pour que la guerre tourne à leur avantage.

Cependant, le fait d’amener la guerre dans les rues de Damas et d’Alep ces dernières semaines n’était pas pour tenir du terrain. C’était une démonstration des capacités de l’ASL, à l’intention à la fois d’une audience syrienne et aussi internationale et conçue pour atteindre plusieurs objectifs plus importants.

Cette stratégie brillante est presque terminée. L’Alep tombera aux forces d’Assad et, ensuite, il faut poser deux questions : pourquoi l’ASL a-t-il attaqué Alep maintenant et que va-t-il sa se passer par la suite?

Pourquoi Alep et pourquoi maintenant?

L’attaque sur Damas a servi comme tactique de diversion, que ce soit intentionnelle (très probable) ou non. Frapper Damas et harceler le régime avec des tactiques de raids éclairs a forcé Assad de déployer ses meilleures et plus loyales unités dans la capitale pour maintenir le contrôle et ainsi on le détournait de l’avance sur Alep. Damas est important mais Alep est le vrai enjeu à cette étape de la guerre. L’ASL espérait atteindre plusieurs objectifs au-delà des avantages territoriaux.

  1. Encourager des défections de l’armée - L’ASL croit que le moral parmi les forces d’Assad est si bas que beaucoup de soldats attendent le moment propice pour se débarrasser de leurs uniformes et changer de camp (ceci est peut-être vrai mais beaucoup règlent la question en aidant l’ASL lorsqu’ils manquent leurs cibles exprès plutôt que de risquer les vies de leurs familles en faisant défection). La distraction de Damas a forcé Assad de déployer ses unités d’élite dans la capitale et d’envoyer ses unités régulières de l’armée (principalement Sunni) pour reprendre Alep. Ce sont ces unités qui sont plus susceptibles de faire défection: d’une certaine façon, Assad a été forcé de livrer des possibles transfuges tout droit à l’ASL. La loyauté discutable de ses unités Sunni explique en partie pourquoi Assad a choisi de bombarder Alep avec l’artillerie et des avions même si il risque de tourner les habitants d’Alep contre lui. Si l’armée bombarde Alep à distance, les soldats peuvent être contrôlés et empêchés de changer de camp. Mais les rues étroites et les tactiques de petites unités de l’ASL attireront finalement l’armée d’Assad dans Alep pour se battre de maison en maison l’ASL croit que les soldats syriens seront alors libres de filer et joindre la révolution. Malheureusement, des rapports indiquent que Assad a compris que Damas est une distraction et qu’il envoie maintenant des unités d’élites pour rejoindre l’assaut sur Alep.
  2. Encourager le leadership du régime de faire défection - Encore plus important que les soldats qui changent de camp sont les défections des membres du régime et des commandants militaires. Les familles de beaucoup de responsables de haut rang vivent à Alep et le siège de la cité a maintenant permis une couverture légitime pour leurs fuites en Turquie. Avec leurs familles maintenant en sécurité de l’autre côté de la frontière, ces responsables sont libres de faire défection sans risquer le châtiment de leurs familles par le régime.
  3. Augmenter le soutien international - Quand les Saudis, les Qataris et d’autres sympathisants de l’ASL voient la fumée au dessus de Damas et d’Alep, ils sortiront leurs chéquiers. L’ASL aura plus d’armes, de munitions, d’équipement de communications et un soutien d’intelligence de l’extérieur à la suite de ses opérations. De plus, l’image du régime à l’étranger sera compromise quand on voit le nombre de blessés civils, suite à l’utilisation par Assad d’artillerie et d’avion pour bombarder les quartiers tenus par les rebelles.
  4. Augmenter le soutien local - Lorsque les bombes d’Assad tombent sur les quartiers d’Alep, le syrien moyen doit se demander, pourquoi ? Ce ne sont pas les tirs du FSA qui ont fait un trou dans son toit, ce ne sont pas des éclats d’obus du FSA qui ont tué son voisin. Ce sont des armes et le carnage d’Assad qui fait la guerre simplement parce qu’il veut rester au pouvoir à tout prix. Il n’y a pas eu de manifestation massive contre Assad à Alep dans le passé parce que Bashar al-Assad et son père Hafez al-Assad avaient une préférence pour la ville. Beaucoup de résidents d’Alep ont bénéficié du régime d’Assad et même ceux qui ne le soutiennent pas activement ne sont pas convaincus que le régime devrait être renversé. L’ASL a donc forcé les résidents d’Alep de choisir leur camp. Le FSA a joué, on espère correctement, sur le fait que la plupart reprocheront à Assad la destruction de leur ville.
  5. Augmenter la pression économique sur lé régime - Damas est peut-être la capitale politique de la Syrie, mais Alep est la capitale économique. Les opérations de l’ASL en Alep ont frappé le régime où il est le plus faible – la trésorerie. Assad a déjà de plus en plus de difficultés à fournir et payer son armée suite à la guerre et aux sanctions et le commerce est touché à son tour.Le meilleur espoir pour les rebelles est d’étrangler les finances du régime de façon à ce que la guerre ne soit plus financièrement possible. L’effondrement économique du régime amènera à la victoire et, à part une intervention internationale, c’est probablement la seule façon qui pourrait faire tomber le régime dans les mois à venir. Si l’ASL croyait vraiment qu’ils avaient la possibilité de capturer et tenir Alep, il est peu probable que ce soit la véritable motivation de cette bataille malgré des commentaires vantards de certains combattants sur le terrain. Alors remporter la bataille d’Alep aurait aussi atteint deux objectifs supplémentaires importants:
  6. Décourager la Russie et la Chine de soutenir Assad - Si les rebelles pourraient prendre et défendre Alep et empêcher les forces d’Assad de reprendre la ville, cela enverrait un signale à la Russie et la Chine que le régime va tomber et que ce n’est pas la peine d’attirer la condamnation de la communauté internationale en continuant de soutenir la cause perdue d’Assad.
  7. Faire d’Alep la "Benghazi de Syrie" - C’était l’objectif ultime de la campagne d’Alep bien qu’il soit impossible pour le moment. En s’emparant d’Alep, il serait possible de créer une zone de sécurité contrôlée par l’ASL pour faciliter des approvisionnements et logistiques provenant de Turquie. Pendant la révolution libyenne, il était essentiel d’avoir une base d’opérations qui permettait la commande et le contrôle depuis l’intérieur du pays au lieu de l’extérieur (pour le moment le leadership de la révolution syrienne est de l’autre côté de la frontière en Turquie.) Si la révolution était gérée depuis Alep, il encouragerait plus d’aide internationale et plus de syriens à faire défection. Il permettrait une plus grande unité parmi les rebelles qui, pour le moment, considèrent leurs leaders détachés des événements sur le terrain. Malheureusement, cette stratégie pose des problèmes parce que presque tout le monde à Benghazi soutenait la révolution mais il reste beaucoup de loyalistes d’Assad à Alep. Benghazi était le cœur de la révolution en Libye alors qu’il faut conquérir Alep et forcer certains de ces citoyens de se soumettre – pas véritablement une situation comparable et pas la meilleure fondation pour créer une zone de sécurité.

Que se passe-t-il après Alep?

Si Alep est en effet la bataille décisive, comme pensent l’ASL, Assad et beaucoup d’observateurs en dehors de la Syrie, alors quelle est la prochaine étape ? L’ASL sera repoussée d’Alep par l’armée syrienne et la presse fera ses gros titres sur la défaite de l’ASL. Mais est-ce que cela signifie que la victoire « décisive » appartient au régime?

Pas exactement. Il est presque impossible d’imaginer, malgré les conseils et l’intelligence fournies par les Etats-Unis et d’autres pays, que l’ASL a gravement sous-estimé leurs capacités et qu’ils croyaient bêtement qu’ils pouvaient capturer Damas et Alep et qu’ils ont envoyé une force bien trop petite pour capturer et tenir le territoire.

Les rebelles, d’après tous les indices jusqu’à maintenant, ont accompli des victoires stratégiques plus importantes qui étaient presque certainement les véritables objectifs derrière les opérations à Damas et Alep, probablement guidé par des conseillers militaires étrangers. Ces dernières semaines, des soldats syriens et des responsables du régime (y compris le Premier Ministre Syrien) ont fait défection et certains résidents d’Alep et de Damas ont tourné contre le régime après la destruction de leurs quartiers. Plus d’armes de l’étranger ont probablement été envoyé à l’ASL et les finances du régime d’Assad ont été poussées plus près de la catastrophe.

Si tout ceci a été accompli, alors on ne peut pas vraiment dire que la campagne d’Alep est une défaite. Il va probablement devenir un modèle pour des campagnes futures contre le régime d’Assad dans les mois à venir, une stratégie conçue pour épuiser peu à peu le régime tout en tirant sur la population et, par la suite, les gens s’opposeront à Assad, plutôt que le coup fatal que représenterait la capture de Damas ou Alep. Maintenant que les rebelles ont vu l’action à Alep et ont versé leur sang dans ses rues étroites, c’est juste une question de temps avant qu’ils retournent.